Voir double

Nicolas Mavrikakis
Édition du 15 avril 2004

En 2003, lors de la triennale L'art qui fait boum!, la critique l'avait remarqué. Le public aussi. GWENAËL BÉLANGER y avait d'ailleurs remporté le Prix du public, ce qui lui donnait l'occasion de monter une expo à la Galerie Graff, que voici.

Le jeune artiste de 29 ans, originaire de Rimouski, nous propose une intervention intitulée Point à la ligne qui, sur le plan formel, ressemble beaucoup au travail de Nicolas Baier et d'Alain Paiement. Cela dit, ces derniers n'ont pas le copyright sur les images constituées d'une mosaïque de photos... David Hockney ou Yan Dibetts ont, parmi bien d'autres, travaillé avec des images parcellisées, fragmentées, réajustées dans une grille digne de mots croisés ou dans un réseau visuel plus complexe. Les héritiers du cubisme ont été nombreux: chacun a voulu relire ce mouvement sous un nouvel angle... Et je dois dire que si le travail de Gwenaël Bélanger s'en tenait à cela, à cette manière de faire par fragments, je ne serais pas totalement convaincu de sa pertinence.

Heureusement, Bélanger étend son champ d'investigation. Il travaille sur l'image comme génératrice d'illusions. Comme quoi cette vieille idée n'en finit pas d'être dans l'air! La semaine dernière, je soulignais d'ailleurs comment Bertrand R. Pitt abordait avec justesse cette problématique aussi vieille que les images elles-mêmes.

Qu'est-ce que cela donne chez Bélanger? La grande œuvre exposée à la Galerie Graff est par elle-même tout un manifeste sur la nature des images. Dans cette constellation de 120 photos apposées les unes à côté des autres, le spectateur voit un immense espace, une salle comme en chantier, les murs semblant composés uniquement de planches de contreplaqué. Il s'agit d'une belle mise en abyme de l'espace même de la galerie, puisque c'est celui-ci qui y est reconstitué à l'envers. Comme si Bélanger avait reconstruit ailleurs l'espace de la galerie. Une réflexion sur le fait que nous percevons toujours une œuvre dans un contexte donné. Le lieu d'exposition (et sa valeur symbolique) vaut souvent autant que l'œuvre exposée, ne serait-ce qu'en influant sur notre manière de la lire. La même œuvre dans un musée ou dans un café ne sera pas perçue avec le même regard. À l'automne 1999, Stéphane Gilot nous avait parlé (entre autres choses) de cela en reconstituant à l'intérieur même de la Galerie Lilian Rodriguez un double de celle-ci. Bélanger reprendrait donc cette idée?

À y regarder de plus proche, on s'aperçoit de la supercherie qui se cache dans le dispositif. Ce double de la galerie n'a été recréé nulle part. C'est seulement grâce aux effets que permet le collage d'images que l'artiste a réussi cette illusion. Que voulez-vous, notre cerveau préfère toujours lire de la continuité spatiale là où il n'y a en fait que fragments et collages... Et c'est là que Bélanger trouve son originalité. En nous montrant sa connaissance de l'histoire des représentations, il nous montre comment une représentation existe toujours dans le contexte de son histoire.

Signalons que Bélanger participera à la 11e Biennale des arts visuels de Pancevo, en Serbie-Monténégro, qui aura lieu du 29 mai au 15 juillet. Il accompagnera les artistes Jean-Pierre Aubé, Mathieu Beauséjour, Patrick Bernatchez, Sylvie Cotton, Michel De Broin, Gennaro De Pasquale et César Saëz. Sélectionnée par la commissaire Nathalie de Blois, cette délégation montréalaise sera accompagnée par le théoricien et critique d'art Bernard Schütze.