Le Devoir
DE VISU, samedi, 29 janvier 2005, p. E8

L'art au banc d'essai

Art et écriture - Galerie de l'UQAM - 1400 Berri, salle J-R 120 - Jusqu'au 12 février

Lamarche, Bernard

Le moins qu'on puisse dire, c'est que la galerie de l'UQAM et sa directrice, Louise Déry, démarrent la saison hivernale en lion. À titre de commissaire, un projet qu'elle signe en collaboration avec Audrey Genois, Louise Déry a lancé une de ces expositions-manifestes qu'elle affectionne tout particulièrement. Six jeunes artistes, six jeunes auteurs: le projet Glissements. Art et écriture cherche à donner une place à des oeuvres et à des écritures jeunes, inédites. Le pari en vaut la chandelle, mais il faut dire que la flamme vacille dangereusement.

Depuis l'exposition L'Art inquiet: motifs d'engagement, en 1999, la galerie de l'UQAM aime organiser des expositions dont le ton est à la revendication. Derrière ces projets se dessine une idée cruciale qui n'est certes pas suffisamment soutenue en règle générale, même dans le milieu de l'art contemporain montréalais. La galerie se doit d'être un lieu d'essai, un terrain non pas dédié à la présentation des résultats des expérimentations, des recherches et de l'exploration des artistes, mais un lieu qui, moins voué à la relative certitude des oeuvres considérées comme terminées, est lui-même un banc d'essai. Dans ses intentions, le projet est des plus louables. Dans les faits, plusieurs engrenages craquent.

Par cette exposition, la galerie entend jouer le rôle de «tête chercheuse», puisque le contexte universitaire dans lequel elle évolue l'appelle à cette vigilance exploratoire. C'est le désir de donner un premier élan à l'art des jeunes artistes, «en reconnaissant la liberté de chacun», qui nourrit ce projet somme toute ambitieux.

Le visiteur se voit accueilli par un texte qui diffuse ces idées et qui a tout de la revendication. Glissements. Art et écriture, peut-on y lire, est un «exercice à trois pour commissaires, artistes et auteurs en quête de public». On y apprend de plus que ce projet est celui de présenter un art susceptible «d'endosser l'inconnu, le tâtonnement, la recherche» dans le but avoué d'attirer les critiques, les collectionneurs, les conservateurs, les galeristes et - ne reculant devant rien - les gens influents.

Dans le fond, ce texte réclame tout haut ce que désirent toutes les expositions et toutes les oeuvres. Se faire voir et faire parler d'elles. Toutes veulent que le ou la critique se rende sur place et approuve. Par contre, les auteurs de cette présentation semblent faire abstraction d'une donnée importante, c'est qu'il revient au critique, une fois sur place, de rejeter des oeuvres s'il le juge nécessaire. Et encore, on oublie de considérer le fait que, si le critique ne parle pas de certains jeunes artistes, c'est aussi parfois que, pour leur bien, il est préférable de se taire. Question de ne pas briser des élans naissants.

Ma première exposition

L'exposition Glissements. Art et écriture présente des oeuvres terriblement inégales. En rapprochant dans le même espace des artistes qui ont quelques expositions derrière la cravate et d'autres dont c'est la première exposition professionnelle, ces écarts sont creusés. Par contre, l'observation ne fait pas loi.

Myriam Yates, une artiste qui a connu à quelques reprises les joies de la diffusion, se démarque de beaucoup par un diptyque vidéo de très bon calibre, Incorporer (s'), avec un sens de l'image qui se raffine de fois en fois. Ce huis clos filmique est réellement nourrissant, dans sa manière de donner à lire sans jamais tout dévoiler des endroits qu'un personnage féminin, double (parfois l'artiste, parfois sa soeur, si l'on a bien compris) visite. Martin Dubé, lui, en est à sa première apparition dans un contexte professionnel, et il s'en tire passablement bien. Il a simulé les pages d'un journal, Le Quotidien, apparemment calqué sur la maquette du Devoir, qui ne relate que les péripéties, même les plus insignifiantes, d'un quotidien, le sien, avec ses gloires, ses misères, ses fictions, etc.

Tout dans ce clone imparfait se rapporte à Dubé. Il est fondateur, éditorialiste, signataire de la chose. Jusque dans les moindres détails, ce faux journal déride: même les publicités se rapportent à lui, de même que les petites annonces, et jusqu'au palmarès du top 10, qui ne contient que des chansons signées par lui. L'auteur a même pensé à glisser une publicité de l'exposition Glissements. Art et écriture dans le bas d'une page. Comme projet autour des autofictions fréquentes en art contemporain, l'affaire est très bien menée. Comme si l'artiste avait peur de manquer son effet, il a tapissé un mur entier de la galerie de pages de journal.

Le travail de Dubé en est un de parasitage. Il se nourrit de la mise en page du Devoir, mais aussi du star-système québécois et de la surcharge d'informations qui construisent les images de marque. Autre oeuvre réussie de cette présentation, celle de Gwenaël Bélanger, qui lui non plus n'en est pas exactement à ses premières armes, est des plus parlantes. L'artiste a soumis les noms de quatre artistes montréalais - Sylvie Cotton, Michel de Broin, Pascal Grandmaison et Doyon-Rivest -, avec de brèves descriptions de leurs travaux, à un site Internet, designcontest.net, une société virtuelle de designers. On voit sur le mur différents logos s'aligner, rectifiés chaque fois à la suite des commentaires de l'utilisateur, lequel doit ensuite déterminer le logo gagnant, affiché en grand format dans la galerie.

Le projet a comme vertu de nommer en clair le processus d'identification derrière cette recherche de logo, une quête qui résonne de celle qui est implicite à la démarche artistique, qui est aussi affaire de signature. Il s'opère dans ce projet une convergence pertinente entre deux processus de définition identitaire.

Du texte

Par contre, cette oeuvre met aussi en lumière une des faiblesses énormes de l'exposition. Au lieu de placer les textes des six auteurs dans les parages des oeuvres, il a été décidé de placarder d'autres textes à leurs côtés. C'est entre autres par cette initiative que le bateau coule.

Les oeuvres sont accompagnées de courtes notes qui déclinent les intentions des artistes. Dans le cas de Bélanger, son texte précise qu'il voulait «faire ressortir les clichés, les idées reçues que les gens peuvent avoir sur les arts visuels». Or, de ce point de vue, rien n'est moins sûr que l'oeuvre touche sa cible. En effet, trop de niveaux de médiation finissent par éloigner cette visée: les notes de Bélanger sur les quatre artistes sont déjà une interprétation de leur travail et il y a tout à parier que jamais les designers qui ont participé au processus n'ont vu l'art en question. Donc, il est question ici de la réception par les designers d'un texte qui résume quelques exemples de cet art. Sans plus.

On coupe les cheveux en quatre? Nenni. Ce n'est pas le contact avec l'art qui précise les essais des designers, mais les commentaires de Bélanger, qui lui-même souligne qu'il voulait, parmi les logos, «choisir celui qui représentait le mieux l'artiste et son travail», ce qui déjà est la vision d'un individu. À chaque étape de ce projet, on nage dans la luxuriante faune de l'interprétation, d'où le fait qu'il est illusoire de prétendre isoler des idées reçues sur l'art contemporain, qui brille ici par son absence.

De manière plus générale, la proximité entre les oeuvres et les intentions à leur source induit une manière d'évaluer les oeuvres en fonction de l'écart entre celles-ci et ces idées préliminaires. À ce petit jeu, les oeuvres sont rarement gagnantes puisqu'elles sont toujours en deçà ou au-delà des idées qui les ont fait naître.

Dans le même esprit, de Nelly Maurel, une Notice invariable accompagne chaque oeuvre. Pour être interchangeable, cette notice l'est. Or, si bien ciblé soit-il pour être applicable à toute oeuvre, ce malheureux ajout reprend à la lettre les lieux communs de nombre d'articles publiés dans les revues spécialisées qui abordent leurs sujets à l'aide de poncifs. En ce sens, qu'il me soit permis de croire que, plutôt que de reconduire l'exercice et ainsi prêter le flanc à ceux qui accusent le commentaire sur l'art d'être trop flou, il aurait été préférable de substituer les textes des jeunes auteurs à ce chapelet de clichés, aussi volontaires soient-ils. Il y a aussi là une manière évidente de se tirer dans le pied.

Pour ce qui est des autres oeuvres de l'exposition, elles sont souvent nourries de bonnes intentions, sans réellement casser quoi que ce soit. Le critique se prévaudra de son droit de réserve à leur endroit.

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Numéro de document : news·20050129·LE·73606