Nadia Ross
Le mouton noir, juin 2005
Gwenaël Bélanger présentait son ultime chute, le grand fatras, lors de la troisième édition de la Manif d’Art de Québec. Instinctif et ingénieux, voici le parcours d’un jeune artiste qui ne cesse de surprendre la scène artistique du Québec.
Habité de concepts toujours inédits Gwenaël Bélanger se présente non pas en cuistre orateur mais plutôt en franc parleur terre à terre, avec de l’esprit comme il en faut. Étonnant pour cet artiste conceptuel à qui on pourrait donner une image d’intellectuel ne voulant surtout pas être compris ! Mais le voilà resté simple, sympathique et plutôt en réaction à la pédanterie qui habite souvent le monde de l’art actuel.
Après avoir quitté son Rimouski natal (un dec en arts en poche), c’est vers Montréal qu’il se dirige pour parfaire ses apprentissages. C’est là aussi que démarrera sa carrière avec le projet Question de goût. Présentée dans le métro, chaque œuvre de ce corpus présente une série de silhouettes d’objets d’une même catégorie. Le spectateur est alors invité, à son insu, à se positionner quant à sa préférence dans les formes suggérées. Dans ce lieu de transit déjà bondé d’images publicitaires, on peut s’imaginer facilement tomber dans le piège de la facilité. Mais, quand une réflexion vient interrompre le mécanisme de jugement, le spectateur entre en contact avec son réflexe mécanisé à voir sans regarder, à choisir sans penser. Ce projet a été exposé à Montréal et en Yougoslavie lors de la 11e biennale d’arts visuels de Pancevo.
Cette recherche conceptuelle aurait mené Bélanger vers Cible de choix qui questionne toujours la notion de préférence. Cette fois-ci, le public est convié à lancer un dard vers l’icône de son choix parmi des centaines tapissant un mur entier. Comment choisir ? L’artiste n’invite ni à viser la plus laide ni la plus attirante des silhouettes. Il invite plutôt le spectateur/acteur à se questionner quant à son positionnement, à son choix et au résultat de son lancé (qui risque fort bien d’être différent du but visé). Quoi que le désir de neutralité de l’artiste soit indéniable, ses goûts et sa personnalité teintent malgré tout l’intervention car il a dû faire, lui-même, des choix pour composer l’œuvre. C’est en étant chargé de ses propres convictions, valeurs et goûts que le spectateur entre en interaction avec le travail de l’artiste. Ainsi naît la relation. Rien n’est jamais neutre ou pur hasard. Question de goût et Cible de choix soulignent donc le parcours complexe entre l’image émettrice et la personne réceptrice.
Au début de sa carrière, c’est d’abord l’interaction du public avec l’artiste qui structure la démarche de Gwennaël, puis, suivant son instinct, il abordera la question de forme avec les séries Chutes. C’est d’ailleurs ce projet qui le lancera vraiment lors de l’événement montréalais L’art qui fait boum ! Tenue au printemps 2003, la Triennale de la relève québécoise lui a offert une visibilité qui lui a valu le prix du public. Conservant son désir de simplicité autant dans la composition que dans le propos, il a développé une série d’images montrant un seul objet sur un fond neutre en train de tomber. Dans la série Chutes (objets) une douzaine de photographies d’objets hétéroclites (boîte, vase, ventilateur, etc.) sont fixés en plein mouvement. La capture du gâteau forêt noir assujetti aux lois de la gravité nous permet de voir un instant et une déformation que notre œil ne peut capter. C’est le même principe pour la série Chutes (miroir). Comme son titre l’indique, c’est un grand miroir qui est figé dans les airs. Cette séquence, joue sur deux plans : le sujet et son mouvement de descente d’une part, les acteurs et le lieu de l’autre. Dans les deux cas, seule la chute est présentée, le fracas engendré par elle n’est que sous-entendu, il n’en tient qu’au spectateur de se l’imaginer.
Après plusieurs variations sur le thème de la Chute, Bélanger devait clore avec cette étape artistique pour ne pas être enfermé dans ce créneau. Toujours en fixant l’instant entre les instants, il releva le défi de réaliser une photographie de plusieurs objets chutant simultanément. Le tout à l’extérieur ! Le choix des objets s’est complexifié autant que la réalisation de la prise de vue. Une sécheuse, une fontaine d’eau, un vélo, un fauteuil et autres objets du quotidien semblent tomber du ciel ou rebondir sur le sol. Présentée en panoramique, l’image est étrangement bien composée pour une scène de hasard. On a peine à croire que cela ne fût qu’une seule chute. Puis, on perçoit l’absurde, ensuite, la poésie. Devant le grand fatras, on a envie de rigoler en s’imaginant une scène de ménage, ou une soute à bagage mal fermée d’un avion de déménagement ! Mais, dans ce grand éclaboussement, on y voit surtout une finalité, une boucle bouclée. Il faut dire que la commande de la Manif d’Art de Québec était que l’artiste réalise une chute inédite pour l’événement alors qu’il prévoyait déjà une fin grandiose à la série. Gwenaël avait donc l’occasion de réaliser cette folle aventure pour ensuite tourner la page. Cette œuvre synthétise donc la recherche sur la chute des corps et fait preuve d’un grand contrôle des moyens (photographiques) pour cet artiste multidisciplinaire.
Sans pour autant tourner la page à la photographie, Bélanger retourne à son approche dont l’esthétique de la relation est le centre. Simple retour ou suite logique ? Pour l’artiste, c’est une question d’instinct : «Quand j’ai une idée, je la réalise.» Dans cet ordre d’idée, il a cru bon se mettre dans les souliers d’un directeur de boîte de publicité et de lancer un concours de logo pour quatre artistes québécois. Logo contest met à l’épreuve la compréhension de l’art actuel par les publicistes. Aussi, ce projet témoigne d’une ambiguïté transactionnelle par le simple fait que les designers devaient consulter non pas les artistes à illustrer mais le maître d’œuvre : Gwenaël. De ce fait, l’artiste agissait comme interprète du travail des artistes sans pour autant les consulter ni leur donner de pouvoir quant au choix final. Aux logos exposés se juxtaposent des informations sur le processus, les idées, les directives, les essais, la correspondance liés à ce travail de déchiffrement. À la fin de l’intervention, Bélanger possédait officiellement les logos qu’il avait «commandés». Cette dernière action nous ramène au constat que même notre image peut être marchandée.
Est-ce que cette aventure fût une critique ou une expérience dans le monde de la pub ? Une partie de cette exposition qui a eu lieu à la Galerie de l’UQAM en janvier dernier avait pour objet de provoquer les médias dans leur lacune à couvrir les événements artistiques et à dénoncer les discours pompeux. Nul besoin de dire que les réponses furent quelque peu froissantes. Tel est le risque de celui qui ne se conforme pas, qui reste fidèle à lui-même et suit son intuition !